La Roue de Fortune, l’arcane X du tarot de Marseille

et le printemps de Saint-Fulbert de Chartres

Aujourd’hui en France nous fêtons les Fulbert. Le prénom Fulbert vient du germain *volk « peuple » et bert (comme dans Bertrand et Berthe) « brillant ». Il est bon de voir à quel point ce prénom correspond à l’homme dont l’église française nous fait nous souvenir.

En effet, Fulbert, né entre 952 et 970, franchit l’An Mil pour être évêque de Chartres en 1006. Ecolâtre (maître de l’école cathédrale) renommé, cet épistolier et auteur de poèmes liturgiques, meurt le 10 avril 1028.

Aujourd’hui, le labyrinthe de la cathédrale de Chartres est fermé au public, ainsi que la crypte, où la messe n’est plus donnée et notre saint Fulbert, qui jouit d’un culte tardif, n’est liturgiquement commémoré que dans certains diocèses français.

Sans doute ceux qui se souviennent que le peuple est brillant et que le peuple n’est complet qu’avec un Roi et un Royaume.

Pas étrange, donc, que dans la tradition celtique, ce jour-là on fête Sun Dance. En Irlande, les jours se lèvent tôt pour voir le soleil se lever et danser sur l’eau. C’est vraiment le début de l’année liturgique du cycle du soleil dans l’eau. Du chaud dans l’humide, de la lumière, du brillant dans le transparent et le translucide.

En Phénicie, le Nouvel An commence aujourd’hui alors regardez bien les informations et décryptez ce que la lumière dit en ces premiers jours de prin(ceps)temp(u)s, et ce que l’ombre y afférente traduit.

Ce Nouvel An célébrait Isi Baau, référence à l’Isis égyptienne. C’était aussi la nouvelle année dans l’ancienne Babylone, où le Festival (ou Jour) de Bau honorait la déesse Bau, connue comme Grande Mère ou Créatrice de Vie.

A Rome, les Jeux Megalenses (jeux du cirque), organisés par les édiles curules en l’honneur de Cybèle, qui avaient commencé le 4 avril se terminent aujourd’hui. Ces hommages aux dieux du stade correspondent d’une manière étrange dans le calendrier avec la conversion des stades en laboratoires géants.

Les impétrants sous hypnose ressemblent à ces gladiateurs qui, comme dans Dune, sont drogués avant d’affronter un noble et d’avoir à perdre le combat d’avance. On sacrifiait des Chrétiens, des Gaulois ou des Thraces. Des vierges. Un peu comme aujourd’hui. Les dieux ont soif de sang dirait-on.

La Roue de Fortune dans le Tarot de Marseille

Donc, en ce Nouvel An antique, transmuté en fête du peuple brillant et 100ème jour de l’année, nous serons un 10, donc en relation avec Iota/Yod, la première lettre du nom de Dieu, et avec la Roue de Fortune. Roue de Fortune que Camoin et Jodorowsky illustrent de la sorte :

ROue de FortuneTarot

La Roue de Fortune, Edition Camoin-Jodorowsky

Étrange iconographie, qui réunit plusieurs mythes et plusieurs mythologies (Anuman, Typhon et la Sphynge) sur cette roue du Karma. 10 c’est une grand 1, c’est vraiment l’occasion d’un redécollage, en tout cas l’occasion d’éteindre du karma et de clôturer des gestalts. On a vu son lien avec le 4, les 4 éléments et donc l’incarnation, le côté terrestre du 10.

C’est pourquoi elle est reliée à la notion de bonne fortune, de prospérité comme l’envisagent les Chinois, notion qui se rapproche beaucoup plus de ce qu’elle devait être chez les Romains, par exemple.

La roue est un instrument de torture au Moyen-Âge, mais on a aussi l’idée du moulin et celle du soleil. Le soleil étant représenté par un dieu sur un char tiré par des chevaux, la roue est le symbole d’Apollon dans le hasard, donc de cette bonne fortune qui est censée se déverser sur nous.

Roue qui nous engage à lâcher prise, donc, dans le sens de lâcher le contrôle que nous croyons pouvoir avoir sur les événements et sur les choses et à accéder à une certaine sagesse. La Roue nous enseigne la conscience de l’humilité transmutée par l’Hermite, lame n° 9 et visible dans la couleur violette, couleur des évêques, qui apparaît dans la doublure de la cape du Sphynx (ou de la Sphynge ?).

Roue de fortune Tarot

Wheel of Fortune, Edition Rider-Waite

Elle en appelle à notre sagesse terrienne, à notre confiance en la construction de notre esprit dans la matière, et nous demande de renoncer aux fantasmes œdipiens.

C’est de cette sagesse, de cette philosophie dont il est question sous cet angle dans cette carte. Etre philosophe, devenir sage, c’est non seulement avoir renoncé comme l’Hermite, mais encore avoir transcendé le trauma et se consoler et donc devenir « philosophal ».

C’est la consolation divine dont parle Maître Eckhart. Et c’est surtout la Consolation de Philosophie que Boèce a écrite en prison, après avoir été torturé par le roi Théodoric et avant de mourir. Il est en pleurs et misérable et en attendant de mourir, il convoque quatre muses dans une alternance de vers magnifiques et de prose, muses chassées par Philosophie.

Cette œuvre de la fin de l’Antiquité, ou du tout début du Moyen-Âge, comme l’affirment certains historiens, est d’inspiration stoïcienne (religion dans laquelle la réincarnation fait partie du dogme).

En reprenant des réflexions de Platon en même temps que de saint Augustin, la Consolation de Philosophie aborde le thème du destin et Boèce utilise l’allégorie de la Roue de Fortune dans son livre II. L’image de la Roue est donc utilisée et intervient donc ainsi dans l’iconographie du Moyen-Âge.

Roue des quatre saisons et roue cosmique, roue de la vie et roue des castes se fondent dans un objet iconique, ce symbole du tout début du 15ème siècle qui illustre le rôle consolateur de la philosophie, de la sagesse vécue, éprouvée, incarnée. La roue est ce qui tourne sans cesse. Cercle, image de perfection, la roue est ce cercle de feu dans lequel danse Krishna – cet être parfait qui danse dans la mandorle de la carte du Monde, quand au cercle succède l’ove.

Elle est l’image de l’éternel retour du toujours-déjà-là, du flux même de la vie, et en cela elle nous dit dans ces enluminures françaises: « reçois, accepte, dilue-toi dans le fleuve car c’est effectivement là que tu te baptises, te nettoies, renais et te relèves ».

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Consolation de Philosophie, Boethius, c.1400, @Paris, Bibl. de l’Institut de France, 0264, f.10

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Consolation de la philosophie, Boèce, trad. Jean de Meung, 1401-1500,  BNF Français 809, fol. 40r